Je ne regardais même pas la personne à qui je parlais. Et ça ne semblait pas la déranger, d'ailleurs. Elle continuait à parler, comme si c'était vraiment important. Elle était ma cliente, c'était la seule raison pour laquelle je restais. Comme ce serait sans doute la seule raison pour laquelle un vendeur resterait prêt d'une cliente très agaçante. Dans le métier que j'exerçais, il suffisait que d'un peu d'effort. Poser quelques questions, donner l'impression qu'elles sont un tant soit peu importantes et voilà. Pourtant, aujourd'hui, j'avais du mal à jouer mon rôle. Aussi simple soit-il, il requérait de la concentration que je n'avais pas. Mes pensées vagabondaient vers d'autres endroits beaucoup plus intéressants. Et souvent, elles revenaient au même sujet; Sawyer. Je ne savais pas comment le prendre. La dernière fois que j'avais eue la chance de lui parler, ça c'était plutôt bien passé. Mais aujourd'hui, je n'étais toujours pas fixé et ça m'énervait. Je n'avais jamais aimé lorsque j'avais une question permanente en tête. Le point d'interrogation était sans aucun doute celui que je détestais le plus. Je ne posais que rarement des questions, j'avais cette haine des questions. Malheureusement, on n'y échappe pas. J'avais beau les fuir, essayer de les oublier, elle me revenait toujours en tête. Je détestais ça. C'était presque de l'harcèlement en y pensant. Dommage, je crois que je passerais plus pour un fou qu'autre chose si j'allais voir un avocat avec ce problème.

Lorsque je sentis un regard persistant sur ma personne, je levai les yeux et je m’aperçus que j’avais complètement oublié la cliente qui me regardait avec des yeux tristes. Je croyais au début qu’elle avait une quelconque raison d’être triste, qu’elle venait de m’en parler et que je devais la consoler, mais je compris que ce n’était pas ça. Non, cette chose que j’avais pris pour de la tristesse était en fait de la pitié. Elle me regardait avec ce regard de pitié comme si j’étais un mendiant. En plein le genre de regard que je n’aimais pas. Je poussai un soupir, je savais pleinement pourquoi j’avais le droit à ce genre de regard. Depuis que cette Dirty Diana avait fait son apparition, j’avais tenté de me faire plus discret. Comme si j’avais besoin qu’une inconnue vienne dire mes problèmes personnels à tout le monde ! Enfin, mon problème. Depuis une certaine nuit, j’avais du mal à me regarder en face. Je n’avais encore rien dit à Sawyer, j’aurais préféré que cela reste dans le secret, mais voilà que tout avait été révélé. J’avais eu le droit à des regards méfiants et d’autres compatissants. Personnellement, je ne savais même pas comment prendre la chose. Devais-je être furieux contre elle ou reconnaissant ? Une chose était certaine, j’évitais les problèmes. Je me cachais presque en y pensant. Il y avait tellement de personnes que je devais éviter, ça en devenait compliqué. Et sans que je sache pourquoi, la première personne que je ne souhaitais pas voir était Eleonore. Je ne l’avais pas revu, je ne lui avais même pas reparlé. J’avais honte des paroles que j’avais dites. Des paroles que j’aurais pu confier à un meilleur ami, mais pas à une ennemie…

Lorsque j’entendis la voix que je ne voulais pas entendre. Ce n’était pas celle de ma cliente qui avait soudainement arrêté de parler, mais la personne à qui je pensais, justement. Je ne levai pas le regard lorsqu’elle me demanda si elle pouvait me voir, je ne dis rien en fait. J’ignorais pourquoi, mais je ne me sentais pas le courage de lever les yeux vers elle. J’avais l’impression que si je bougeais, que je levais les yeux, il allait m’arriver un truc dont je n’avais pas besoin. Mais pourtant, il le fallait. Je regardai ma cliente, c’était sans doute la première fois que je la détaillais. Avec son visage enfantin et ses cheveux qui ressemblaient à du caramel, elle était adorable. Je lui fis un mince sourire et tout en me levant de mon siège, je lui adressai quelques mots, sans doute pour la première fois de la conversation;

« Désolé, je dois y aller. »

Je devais m'avouer que si j'y allais, c'était surtout par curiosité. Que pouvait me vouloir Eleonore de si bonne heure ? Je la suivis alors lorsqu'elle alla dans un coin de la véranda, beaucoup plus privé que l'endroit où j'étais. Je sentais que quelques personnes nous observaient et je compris que si elle désirait une conversation en privé, le sujet n'allait sans doute pas me plaire. Qu'avait-elle à me dire ? Je sentis que le silence était pesant avant qu'elle ne prenne la parole. Je crois que je préférais le silence aux paroles par contre. Le ton qu'elle avait pris, les mots qu'elle avait utilisés, elle me terrorisa d'un coup. Je n'étais plus certain que ma curiosité en valait la peine.

« Je suis enceinte. »

Je la regardai. Je ne fis que ça. Les mots ne voulaient pas s’implanter dans mon esprit. J’avais l’impression que mon corps attendait la phrase « Fait pas cette tête ! Je blague ! ». Ils ne vinrent pourtant pas. J’étais là à la regarder, sans dire un mot. Et puis, le déclenchement se fit. Des milliers de questions et de sentiments vinrent chambouler mon esprit, pourtant pas si paisible. L’inquiétude, la colère, la peur et tout ce qui concordait était en moi. Je ne bougeais pas, j’étais comme bloqué. J’avais l’impression que si je faisais un pas, je tomberais.

« Je… non… ce n’est pas possible ! Je ne peux pas… enfin, non ! »

Je regardai Eleonore. J'avais envie de m'asseoir, mes jambes ne pouvaient plus me soutenir. J'avais baragouiné quelques mots, les seuls mots qui me venaient à l'esprit. J'avais l'impression que si je disais non, tout s'effacerait et ces mots ne seraient que rêve. J'avais envie que ce soit un rêve, je ne voulais pas que ce soit vrai. On m'avait souvent dit que la réalité faisait mal, je n'aurais jamais pensé qu'elle me ferait aussi mal. Je pensai à la réaction de plusieurs personnes... Comment mes parents réagiraient ? Ils me tueraient, simplement. Mon père n'accepterait jamais ce genre de choses... & comment réagirait Sawyer ? Avoir couché avec une autre c'était une chose, mais avoir un enfant avec en plus, je ne crois pas que j'aurais été capable de prendre cette nouvelle, si j'avais été à sa place. Mais malheureusement, j'étais à la place du responsable. Je passai mes mains dans mes cheveux et j'évitai soigneusement le regard d'Eleonore. Si elle m'annonçait cette nouvelle, c'était que j'étais tout bonnement le père de cet enfant, non ? Enfin, c'était ce qui m'était venu en tête. Je ne savais plus où regarder, j'avais l'horrible impression que tout le monde m'observait. Je baissai finalement le regard pour regarder mes pieds. Tout en observant mes pieds, je chuchotai;

« Je ne peux pas être père franchement… Ce n’est qu’un mauvais rêve, je vais me réveiller bientôt, je devrais peut-être essayer de me pincer ? »

Je ne levais pas le regard. Je m’entêtais à regarder mes pieds. Je ne pouvais pas y croire. C’était un rêve, il n’y avait que cette explication.

La nouvelle avait eu du mal à se frayer une place dans mon esprit, mais maintenant elle y était et pour de bon. Plusieurs pensées avaient surgi, des sentiments étaient venus aussi. Celui que je ressentais le plus était le regret. Je regrettais cette nuit et amèrement. Elle avait été une erreur dès le début et aujourd’hui je le payais. Je savais que toutes ces pensées étaient égoïstes, après tout, Eleonor était dans le même cas que moi. Pourtant, je n’arrivais pas à penser différemment. J’avais l’impression que le sort s’acharnait sur moi. Pourquoi, dès que ça allait un peu mieux, je me retrouvais avec un autre problème sur les bras ? Et pourquoi j’avais l’impression que plus le temps avançait, plus mes erreurs devenaient énormes ? J’avais l’impression que celui qui contrôle le destin c’était dit « lui on va le faire souffrir un max ! ». Ça me frustrait. Ce bébé, cette nuit, la fois où j’avais fuit… J’avais l’impression que cette résidence me portait malheur. Je poussai un soupir. Malgré tout, qu’est-ce que je pouvais faire ? J’aurais un enfant. Lorsqu’elle me fit remarquer que l’on n’avait pas pris de précautions, je ne fis rien. Elle avait pleinement raison. J’avais ma part d’erreur dans ce que le destin avait décidé. La nouvelle qu’elle venait de m’annoncer allait changer ma vie complètement. Et je n’imaginais même pas à quel point du côté du cercle. Avec Adam, Elwin… Elwin surtout. Lui qui me détestait déjà, il allait me tuer maintenant. Il faudrait que je l’évite soigneusement pendant un bon moment. Je n’avais pas envie de le confronter, surtout sur une chose que je n’avais pas décidée moi-même.

Je regardai alors Eleonor. Je n'ai pus m'empêcher de la dévisager, de l'imaginer avec un ventre de femme enceinte. Ce qui me fit très bizarre. Eleonor était jeune, plus jeune que moi. 18 ans ou 19, je ne me rappelais plus avec précision. Tout ce que je savais, c'était qu'elle était beaucoup trop jeune pour avoir un enfant. Remarquant enfin qu'elle était dans le même bateau que moi, je passai mes deux mains dans mes cheveux et je me laissai tomber sur le sol pour me retrouver assis. J'avais du mal à tenir debout depuis l'annonce de la nouvelle et sentir que mes jambes étaient en mode repos me fit un léger soulagement. J'entendis alors les paroles d'Eleonor et je me crispai.

« Ne t'en fais pas, je ne te demande strictement rien. Je préférais juste que tu l'apprennes de ma bouche. J'élèverais seule les deux petits, car je compte garder cette grossesse... Tu pourras vivre tranquille, je ne te demande pas d'être présent. »

Je la regardai, complètement ébahi. La première chose qui m'avait fait réagir ainsi, c'était le « deux ». Je ne compris pas du premier coup. Lorsque la lumière s'alluma, je n'ai sus comment réagir. Un enfant c'était déjà énorme, alors deux ? Je posai ma tête sur mes genoux, si j'avais été du genre à pleurer, je l'aurais fait depuis longtemps.

« Deux ? Et qu’est-ce que tu racontes ? Je veux élever mes enfants, moi aussi. Il n’est pas question que… que je te laisse les élever sans moi. »

Je relevai la tête pour la regarder dans les yeux. J'avais beau être désemparé, je savais ce que je voulais. Ces petites choses avaient quand même une part de moi, non ? J'avais beau ne pas être le meilleur futur père, je ferais un effort. J'y tenais. J'ignorais pourquoi, mais j'avais l'impression qu'ils pouvaient m'apporter quelque chose de bon. Et puis, je ne pouvais me résoudre à laisser Eleonor les élever sans mon aide. Même si cela pouvait mettre ma carrière en doute et même mes relations, ce n'était pas grave. J'aurais, au moins, toujours une chose qui aurait un lien avec moi, non ? Eleonor avait beau être la mère, ce n'était pas grave. J'aurais sans doute la chance d'avoir d'autres enfants plus tard, non ? Je baissai de nouveau les yeux vers le parquet. J'avais l'impression d'être un gamin qui était puni et j'ignorais pourquoi j'avais cette impression complètement débile. En repensant aux conséquences de cette dernière phrase, j'eus une pensée envers Elwin. Je n'ai pus alors m'empêcher de rire. Je ris assez pour comprendre ce qu'était qu'un fou rire. Lorsque mes rires s'estompèrent, je me rappelai la présence de la brunette et je m'en voulus quelques secondes. Elle devait croire que je riais de ce que je venais de dire ou un truc dans le genre. Je décidai alors de lui expliquer;

« Ton frère va vouloir me tuer. »

Et je lui fis un sourire. Il n’en restait pas moins que je haïssais toujours autant Elwin. Si je pouvais au moins profiter un peu de cette situation et en chercher des avantages, c’était que ça devait sans contredit frustrer un tant soit peu le jeune homme…

Je commençais, un peu, à me faire à l'idée. Malgré tout, je ne pouvais m'empêcher de crisper les doigts lorsque me venait à l'esprit la phrase « Tu vas avoir un... non, plutôt deux enfants avec Eleonor. ». Pour avoir un enfant avec une autre, ne fallait-il pas... avoir un minimum de bonne entente avec elle ? Pourquoi il fallait que ça tombe avec elle ? L'une des seules personnes que je n'aimais pas. Quelle bonne blague ! Les enfants ne verraient jamais leurs parents ensemble, ils n'ont jamais été ensemble de toute façon. En fait, il faudrait carrément que je me force à développer une certaine entente avec Eleonor. Sinon, bonjour les disputes ! Je m'en voulais un peu pour eux, je tenais à ce qu'ils aillent leurs deux parents, malgré tout. J'avais aussitôt pensé à une garde partagée. J'ignorais pourquoi, je ne connaissais pas beaucoup de personnes n'ayant pas des parents mariés. Mais j'avais sans aucun doute déjà vu ce genre de cas à la télé. Ça me paraissait plus normal à la télé, tout d'un coup. Mes pensées revenaient souvent sur mon avenir. Je n'avais jamais eu de grandes idées. Pour moi, rester dans le cercle jusqu'à un certain âge, y rester assez longtemps pour que je puisse ensuite vivre confortablement, me convenait. J'aurais pus vouloir prendre le flambeau de la société de mon père, mais il ne fallait pas rêver. Je n'avais jamais été doué pour les affaires, ce genre de métier me tuerait. Mon père l'avait rapidement compris et se cherchait un autre héritier. Ce qui me convenait. Mais, maintenant, je commençais à me demander si je pouvais rester dans le cercle, avec un, non, plutôt deux gamins ? J'espérais bien que oui, parce que sinon je ne voyais pas comment j'arriverais à quoi que ce soit. Je ne savais même plus si je voulais la réponse à cette question. Si je l'avais et que c'était non, j'ignorais ce que je ferais.

Je la regardai lorsqu'elle m'annonça qu'il y en avait deux. Heureusement que j'avais compris plus tôt parce que sinon, je l'aurais sans doute mal pris. Je trouvais que cette histoire prenait des dimensions... démesurées. Tout avait commencé avec une simple discussion dans un couloir, non ? Et le pire, c'est que je savais comment on en était arrivé là, je ne suis pas si bête. Mais je ne savais plus quoi en penser. Devais-je regretter, ou non ? Le destin en avait décidé ainsi, peut-être était-ce parce que c'était mieux comme ça ? J'avais tant de questions... D'un coup, j'aurais aimé avoir des dons de voyances, pouvoir voir l'avenir me serait d'une grande aide ! Je saurais ce qu'il ne faut pas que je fasse... Car malheureusement, j'étais toujours en train de faire des choses qu'il ne faut pas que je fasse. Comme si « malchanceux » faisait partie de ma liste de traits de caractères. J'enviais tellement les personnes qui étaient chanceuses. J'aurais aimé l'être. Sans doute que je ne me serais pas ramassé avec deux bébés aujourd'hui.

« Quoi? Tu veux un mariage? Tu te marieras tout seul, car il est hors de question que je te supporte toute ma vie comme étant ta femme! »
« Hein ? T’es dingue ou quoi ? Tu crois vraiment que je souhaitais me marier à toi ? Bon sang ! Je pensais à une garde partagée, ou un truc du genre… surtout pas de mariage ! »

Me marier avec Eleonor était sans doute l'une des seules choses auquel je n'avais pas pensé. M'imaginer une seule seconde coincer avec Eleonor, avoir Eleonor comme femme, me donnait envie de partir en hurlant. Déjà que j'en avais plutôt envie en ce moment... J'éclatai alors de rire, j'ignorais pourquoi, mais je trouvais l'idée hilarante. Je ne voulais pas penser que ces enfants étaient une vengeance, mais c'était venu comme ça. Enfin, je trouvais cela drôle jusqu'à ce qu'elle me réponde d'un ton des plus sérieux.

« A ta place je ne rigolerais pas. »

Je ne savais pas quoi répondre. En fait, cette phrase était le genre parfait qui n'engendre aucune réponse. Je regardai le parquet et Eleonor, l'un à la suite de l'autre. Je ne savais plus où regarder, ce que je savais c'était que je ne voulais pas regarder autour de moi. L'activité autour avait repris, mais il restait que je pouvais parier que plusieurs nous lançait des regards furtifs, espérant avoir des brides de conversation. Je finis par m'arrêter sur le parquet. Eleonor avait toujours ce regard qui rend mal à l'aise. Trouvant, enfin, un truc à répondre, je glissai alors dans la conversation;

« Tu crois qu’il y a un moyen que… ça ne dégénère pas ? »

Je n’avais pas trouvé d’autres termes. Dégénérer... Je ne m’étais jamais réellement battu. Je n’avais jamais eu raison de le faire, j’avais donc évité. Pourtant, je savais que c’était ce que désirait Elwin. Et, maintenant, la seule chance que j’avais d’éviter que ça arrive, je la reposais sur Eleonor. Elle connaissait son frère, non ? Elle pourrait sans doute m’aider ? C’était sans doute la première fois que j’espérais quelque chose d’elle. Si, pour une fois elle pouvait ne pas me décevoir, ce serait génial. J’espérais réellement que ces enfants ne m’attireraient pas autant de problèmes, pour le moment, j’avais l’impression qu’espérer ne servait à rien.

On aurait dit que plus la discussion avançait, plus j’avais peur. Je n’avais jamais été un être très courageux. Lorsque j’étais jeune, j’avais peur des monstres, de l’obscurité, etc. Aujourd’hui, je n’avais plus peur des monstres ou de l’obscurité, mais il n’en restait pas moins que j’étais un peu trouillard, au plus profond de mon être. J’essayais de les affronter, mes peurs. Mais parfois, je préférais fuir. C’était idiot, mais c’était la seule solution que je voyais. En ce moment, je me surprenais. Je n’arrivais pas à croire que je souhaitais une seule seconde une garde partagée. Pourtant, j’étais bien décidé. D’où me venait cette soudaine bouffée de courage ? Comme si pour la première fois de ma vie, je savais réellement ce que je voulais. Ce qui était la chose la plus surprenante de ma part. Moi, l’éternel indécis, celui qui passe sa vie à se poser des questions, à douter, était certain de ce qu’il voulait. Et c’était un choix difficile pourtant ! Ce qui était le plus idiot, c’était que j’étais fier de moi. J’arrivais à être fier alors que la personne que je détestais le plus, après Elwin, était enceinte de moi et venait de me l’annoncer. J’avais l’impression que cette nouvelle ne m’affectait pas beaucoup. Je n’étais pas abattu ni rien, comme si je m’y attendais. Comme si je m’étais fait au sort que l’on me réservait, un sort injuste, certes, mais qui était le mien. Comme un prisonnier s’habitue à la prison, j’imagine. Ma peine à moi, c’était d’être condamné à toujours gaffé, à vivre avec une malchance qui me collait au derrière. Peut-être que je devrais penser à lui donner un nom ? Henry lui irait bien, après tout.

En y pensant, Henry avait sans doute du jouer dans le choix de mon ennemi. Eleonor était, sans aucun doute, l'une des pires ennemies que tu peux avoir. Beaucoup trop franche, à mon humble avis. Je savais que si je n'avais pas découvert son secret, j'en aurais bavé à mon tour. Heureusement que j'avais eu la chance de le découvrir ! J'avais au moins eu un peu de chance de ce côté. Même si tout le reste que ce que m'avait apporté Eleonor n'était que de la malchance. Après tout, c'était bien marrant de la faire chanter, mais est-ce que cela en avait réellement valu la peine ? J'aurais eu une vie si paisible si elle n'était pas venue y faire irruption ! Je n'osais même pas y rêver, je savais que c'était de la torture et idiot que de penser aux choses que tu ne peux avoir. En même temps, moi aussi j'avais fait irruption dans sa vie. Je savais que je n'avais pas apporté que du bonheur pour elle aussi. Mais moi et mon égocentrisme, je ne pouvais m'empêcher de penser qu'à mon malheur.

« Une garde partagée? Si cela se trouve on n’habite pas dans le même pays je te signale! Cela à l'air plus difficile de ce que l'on pense, puis qui me dit que tu es prêt à assumer ta part de paternité en entière? Que tu ne fileras pas à l'anglaise au bout de quelques mois? »
« Je m’en fous du pays… je déménagerai s’il le faut ! Ce n’est pas comme si j’avais un quelconque attachement à mon pays, honnêtement. Je l’ignore moi-même d’accord ? J’ai… Je ne vois pas pourquoi tu pourrais les élever, mais pas moi. Ce serait injuste. »

Ses paroles me blessèrent plus que ce qu'elle pouvait croire. Je savais que c'était Eleonor, qu'il était tout simplement impossible que j'aie une quelconque confiance venant de sa part, pourtant j'aurais aimé en avoir. Je me sentais totalement perdu, je n'avais même pas confiance en moi. J'ignorais à qui je pouvais parler de ce sujet, alors que je n'avais qu'une envie; vider mon sac. J'avais besoin d'en parler et pourtant je savais que je ne pourrais pas me libérer de ce poids. C'était tout simplement improbable. À moins que je bois jusqu'à ne plus avoir perception de mes idées, mais je n'avais jamais vraiment aimé l'alcool, enfin, j'aimais cela, mais je n'aimais pas être bourré.

Lorsqu'elle ria à ma question, je sus que j'étais déjà mort. J'avais l'impression d'injustice et de peur, les deux en même temps. Je savais qu'Elwin était un être beaucoup plus violent que moi et j'avais entendu parler du coup donner au bal. C'était marrant que je n'en aie pas eu conscience puisque moi-même j'étais au bal. Mais malgré tout, lui aussi avait déjà fait des choses qui me donnaient tout autant une bonne raison de devenir agressif. Toutefois, je n'avais rien fait, j'étais resté passif et j'avais laissé ma colère augmentée sans bouger. Je n'avais même pas couché avec Eleonor dans le but de me venger d'Elwin. Même si, d'une certaine façon, j'aurais préféré le faire dans ce but plutôt que dans le but que j'avais choisi; le réconfort. Je trouvais que ça manquait un peu d'ambition. Mais je ne me plaignais pas, ça avait quand même été plaisant.

« Non je ne crois pas, quand Elwin à quelque chose en tête, on ne peut pas lui enlever. Je crois que tu devrais demander à Billie-Joe une pommade, il en a déjà fait les frais de la colère de mon frère, il c'est retrouvé avec le visage criblé d'hématomes pendant plusieurs jours, sans vouloir te faire peur... Puis je ne vois pas pourquoi j'essaierais de calmer le jeu, après tout tu t'es bien amusé à me faire chanter depuis le début des vacances, c'est à mon tour de rire un peu. »

Je n'ai sus pourquoi, mais j'avais tout d'un coup une forte envie de pleurer. Il n'y avait donc personne de mon côté dans ce monde ? J'avais l'impression d'être seul, une impression affreuse lorsque tu es dans une pièce remplie à craquer. Je me levai du sol et j'évitai le regard d'Eleonor. J'ignorais pourquoi, mais je ne voulais pas la regarder en face. Peut-être était-ce parce que, chose étonnante, je m'efforçais de retenir des larmes dont je ne voulais rien savoir ? Je n'étais pas le genre de personne qui aime pleurer en public. Au contraire, c'était l'une des choses que je tenais à ne pas faire. Sans doute que si moi et Eleonor avions été seul dans une pièce, je me serais moins retenu, mais, présentement, il y avait beaucoup trop de monde. Après tout, Eleonor m'avait vu dans une autre situation plus gênante, selon moi. Je me sentis encore plus idiot lorsque le seul mot que je trouvai à répondre fut;

« D’accord. »

Qu’auriez-vous répliqué à ce qu’elle venait de me dire ? J’aurais pu crier, j’aurais pu m’enfuir, mais je n’en avais pas envie. En fait, j’ignorais pourquoi mais j’avais une forte envie de sommeiller. On disait souvent que la nuit portait conseil, nous étions le matin, mais ça devait faire la même chose après tout ? J’observai le plafond, ce qui aida à retenir mes larmes d’ailleurs et je me dis, d’un ton que je ne saurais décrire peut-être un peu tremblotant;

« J’espère que ça ne fera pas trop mal… »

Je sais que j'avais dit que je ne répondrais pas aujourd'hui. (a) J'espère que ça ne te dérange pas trop que j'y aie répondu finalement ? xP