J’avais su au moment même où on m’avait parlé de cette fameuse soirée dansante qu’il aurait été une grosse erreur de ma part d’y aller. Ma place n’était pas là et ma chambre était un endroit beaucoup plus sûr que le salon pour cette soirée là. Je voulais m’éloigner le plus possible de l’ancienne vie que j’avais menée à Vegas, dans ce genre de bars, à prendre de l’alcool jusqu’à ce que je ne tienne plus debout et à chanter pour le plaisir des spectateur dans l’espoir de décrocher un contrat qui me ramènerait un peu d’argent. J’avais fait ça pendant des années, années qui me restaient floues par moment tellement j’avais la tête embrouillée par les grandes doses d’alcool que j’avalais. Je n’étais pas le genre de buveur qui allait se montrer sous un autre jour lorsqu’il était bourré, mais qui allait plutôt perdre connaissance à force de prendre trop d’alcool. C’était ça, mon genre. J’étais toujours conscient de ce que je faisais et mon corps avait développé une certaine résistance à l’alcool – sans aucun doute à force d’en prendre – et je n’étais plus pompette comme lorsque je prenais quelques bières à dix-sept ans. Enfin, vous comprendrez que dans la situation où j’étais présentement – autant sur le plan sentimental que professionnel – il n’était pas vraiment à mon avantage d’aller à cette fameuse soirée dansante. Malheureusement, j’avais succombé. Et je m’étais rendu à cette foutue fête, bien malgré moi. Peut-être était-ce le fait que Lyam était en quelques sortes celui qui avait été désigné pour animer la soirée – il avait toujours été un artiste dans l’âme et lorsqu’il avait une guitare ou un piano sous la main, il devenait une vraie star de la musique populaire – et je ne pouvais pas me résoudre à être dans une pièce alors que je savais pertinemment que je pourrais être dans une autre en train de m’amuser avec Lyam.

C’est ainsi que j’avais descendu au rez-de-chaussée, dans le grand salon, aménagé comme une de ces boîtes de nuits de riches à Vegas, me rappelant vaguement celles dans lesquelles j’avais eu la chance d’entrer. Bien sûr, Jay’ un jour, Jay’ toujours et j’avais fait les choses en grand. Le petit employé derrière les cuisines n’était plus ce soir et j’avais en quelques sortes retrouvé ma bonne vieille mentalité de Californien fêtard et déjanté, sortant d’abord mes plus grandes parures. Un chandail à col V énorme était soigneusement placé sous une veste en cuir qui tirait sur l’or et l’argent en même temps, s’illuminant des nombreux projecteurs de couleur de la salle. Je portais des pantalons noirs, plus serrés que la normale des garçons et des bottes de cuir noir, de style combat, justes pour ajouter de l’extravagance. Mon regard azur était souligné par un trait d’eye-liner beaucoup plus soutenu et mes cheveux étaient en bataille. Pour finaliser le tout, j’avais quelques chaînes accrochées ici et là sur mes pantalons et au moins trois colliers différents dans le cou. Un style qui passait inaperçu dans ma ville d’origine, mais qui ne laissait pas indifférent dans la petite campagne d’Irlande. En avais-je fait trop ? Certainement pas. J’avais ce goût pour l’originalité et je n’allais pas m’en passer que pour faire plaisir aux yeux de ceux qui étaient trop coincés pour apprécier la différence.

La soirée était encore jeune lorsque j’arrivai sur place. Quelques personnes étaient arrivées, par ici et par là, certains traînaient au bar qui était déjà ouvert, d’autres discutaient. Mon regard se promena alors sur ce qui se passait autour, repérant la scène. J’eus un malaise pour un instant, trop de souvenirs me revenant en tête. Toutes ces soirées que j’avais passées derrière un micro me revinrent en tête et bien que je n’avais pas nécessairement envie de revivre tout ça – bien que la musique était sans aucun doute la seule passion à laquelle je m’étais accrochée et qui m’étais restée malgré toutes les épreuves – je savais que je terminerais ma soirée complètement bourré sur cette scène à chanter comme si ma vie en dépendait, trop bourré pour réaliser ce que je faisais vraiment et comprendre ce que je chantais. Ça se terminerait comme ça, j’en étais certain. C’était toujours comme ça et maintenant que je me retrouvais dans un décor passablement semblable à ce que j’avais toujours connu, ma chute était imminente, ce n’était qu’une question de temps. Déjà que je m’étais calé quelques bières tout seul dans ma chambre, essayant d’écrire pour ne pas succomber à la tentation de cette fête. J’avais échoué lamentablement, mais ça, vous comprendrez que je ne me l’avouerai jamais.

Je n’eus qu’une seule déception en arrivant : aucune trace de Lyam. À croire qu’il s’était défilé ou bien qu’il était derrière la scène en train de se ronger les ongles sous la nervosité. Je le connaissais trop pour savoir qu’il ne serait pas le premier sauté sur la piste de danse et que s’il avait a performer, il serait isolé dans son coin à serrer sa guitare comme si c’était son doudou. Je ne l’avais pas vu jouer depuis longtemps et j’appréhendais en quelques sortes le moment où il monterait sur scène. J’avais seulement peur qu’il me demande d’en faire autant : je n’avais pas nécessairement envie de lui montrer quel genre d’artiste j’étais devenu, considérant que mes performances étaient beaucoup plus pour divertir et provoquer plutôt que pour prouver que j’étais un bon chanteur – parce que moi, je ne jouais d’aucun instrument. Bref, je devais sortir ces idées de ma tête pour l’instant. Je n’avais qu’un seul but en tête : trouver cette minuscule tête de brun qui me servait de meilleur ami et lui faire profiter de la fête avant qu’il ne meure aux arrière-scènes avec seulement sa guitare comme témoin.