Can this savior be for real - Or are you just my seventh seal ? - PV Abigail

h ô t e

Jeudi, 11h45.

Le Soleil n’avait pas encore atteint son apogée brûlant, mais déjà une chaleur lourde et halitueuse pesait de tout son poids sur les épaules des promeneurs égarés ou des couples, qui se retrouvaient dans le parc pour donner une valeur d’éternité à leurs baisers passionnés. Cependant, le jeune homme qui franchit l’entrée à cet instant n’appartenait ni à l’une, ni à l’autre de ces catégories de personnes, et cherchait seulement un lieu de tranquillité relative, d’où il pourrait laisser libre cours à son imagination sans entendre raisonner à ses oreilles les demandes polies mais continuelles de certaines vacancières. Dans sa main droite, une lettre. Papier d’une couleur crème, qui rappelait celle des murs de la maison où il avait grandi. Ecriture soignée ; on pouvait clairement distinguer les boucles démesurées des lettres « l » et « b », qui s’étirait plus que les règles d’écriture ne le permettaient. Cette lettre était déchirée en quatre parts à peu près égales - les déchirures suivant les plis qu’avait eu le papier plié dans l’enveloppe – et était raturée à plusieurs endroits. Lorsqu’il atteignit la poubelle olivâtre qui trônait au milieu des arbres et des bancs occupés, Adam stoppa brutalement ses foulées rapides. Il attrapa son briquet, et y dispersa les cendres d’un geste nonchalant, prenant un soin presque sadique à ne laisser échapper aucune parcelle de la lettre où apparaissait les mots écrits à la plume. Probablement une lettre d’excuse ou de demande, refusée d’avance par Adam, qui d’ailleurs n’avait pas pris la peine de déchiffrer les mots baignés d’une servilité et d’une flagornerie mal feinte.
Et c’était à chaque fois le même rituel, lorsque le facteur lui tendait avec un air quasi-compatissant une lettre où figurait à l’envers le nom et l’adresse du père d’Adam. De son père, ou plus exactement de ce lâche veule et craintif qui, tel un mouton, abandonnait avec soumission sa laine et sa chaire aux pulsions carnassières de la grand-mère du jeune homme. Pour lui, mieux valait fuir que d’affronter, et au moins conserver ce peu d’honneur qu’il lui restait et, Adam ayant hérité du sens de l’honneur de sa mère, ne pouvait admettre cela.
De toute façon, ce n’était sûrement plus maintenant qu’il allait modifier son comportement : sa famille de sang avait été écarté, au profit d’une alliance bien plus légitime, bien moins coupable, celle du Cercle d’hôtes. La seule à laquelle il tenait vraiment, parce qu’elle regroupait ensemble toutes les personnes qu’il admirait et estimait le plus. La seule à laquelle il tenait vraiment, parce que chaque sourire, chaque mot aimable prononcé par une vacancière lui rappelait que, s’il y avait bien une chose qu’il n’avait pas totalement loupée dans sa vie, c’était bien celle-là. La seule, enfin, parce qu’elle établissait un contraste flagrant avec son sombre passé, qu’il rejetait, reniait et refoulait.
Il continua sa traversée du parc, jusqu’à enfin atteindre cet endroit désert qu’il fréquentait de temps à autre. Juste là, entre les deux chênes dont les feuilles rougissaient à peine sous l’action du Soleil. Pourtant, ceux qui le connaissaient bien y auraient vu la une bien étrange habitude, tout simplement parce qu’il passait en général davantage de temps en ville, qu’isolé dans le parc. En fait, c’était plus par recherche d’un quelconque contact avec la nature que par envie d’être seul qu’il était venu ici et, tout comme la ville lui paraissait hostile le matin – sans ses mille feux qui l’érigeait au rang de gigantesque torche -, le parc lui semblait être l’endroit le plus accueillant et le plus apte à recevoir quelques rêveries.
C’était un chaos inextricable de pensées sombres et de pensées optimistes, de vision confuse d’un avenir incertain et de vision claire d’un présent formidable, et de mirages et de chimères inconnues. Pourtant, rares étaient à une telle heure les moments de calme qu’il pouvait s’offrir, permis d’ailleurs seulement de manière bien brève. Bien qu’il ait quitté une résidence extraordinairement paisible, il s’attendait à entendre d’un moment à l’autre la sonnerie mélodieuse de son portable, qui lui rappellerait sa mission ; ou encore les pas hasardeux d’une vacancière à la recherche de son hôte.

Invité

Abigail :

h ô t e

Perdu dans ses pensées, Adam ne remarqua la présence de la jeune femme – pourtant à quelques mètres de lui seulement – que lorsque le son de sa voix se détacha du brouhaha environnant. Les notes, que ses oreilles perçurent immédiatement, était familières. Mieux, elles étaient amicales. Il ne s’était pas encore retourné, il n’avait pas encore fait volte-face vers la source du bruit mélodieux, et pourtant, il avait déjà mis un nom sur la personne. Abigail. Une amie, une très bonne amie. Le genre d’amie dont le regard était dénué de tout jugement, de toute incompréhension. Le genre d’amie qui était là aussi pour les moments durs. Lorsqu’ils étaient encore tous deux à Londres, ils passaient pas mal de temps ensemble. Suffisamment, en tous cas, pour qu’un furtif échange de regard permette de remplacer de longues phrases. Suffisamment, pour que leurs conversations soient dépourvues de ces blancs embarassant qui encombraient certaines discussions. Suffisamment, pour laisser Adam muet de surprise. Elle, au contraire, n’avait pas l’air si étonnée que cela. Pourtant, cela faisait plusieurs années déjà qu’ils ne s’étaient pas revus. Bien sûr, les premiers temps où ils avaient été séparés par la force des choses avaient été ponctués de lettres réjouies, de coups de téléphone animés, d’e-mails compatissants. Puis, petit à petit, chacun avait emprunté sa voie, avait suivit son Destin, ce qui impliquait inévitablement un certain éloignement. D’abord réguliers, ces traces d’affection étaient petit à petit devenues occasionnelles, puis rares. Ce n’était pas de la négligeance, simplement l’application d’un comportement humain naturel, qui tendait à privilégier ce qui se rapportait à l’être le plus directement. Adam se tourna tout à fait vers elle, et l’observa d’un oeil attentif. Elle n’avait guère changé. Ou du moins, il aurait encore reconnu son visage et sa silhouette entre mille autres.

Et elle, qu’allait-elle penser de lui ? Après tout, il avait beaucoup évolué, depuis la dernière fois, depuis cette période qui lui semlait être il y a si longtemps ! Il avait fondé – avec Isaac – puis grandi avec le Cercle d’hôte, sa seconde famille aujourd’hui. Il était indépendant à présent, et avait trouvé sa vocation – même si sa vie n’était pas toujours aisée, entre autres avec les vacancières difficiles à satisfaire. Mais il cotôyait chaque jour des gens formidables – September, Caleb et Lawrence, pour ne pas tous les citer -, vivait ce dépaysement qui rendait sa vie si palpitante, et prenait plaisir à rendre service. Bien sûr, cela était dur et éprouvant. Bien sûr, il avait été pluseurs fois tenté de jeter l’éponge, de renoncer. Mais il était fier d’avoir continué, d’avoir forcé le Destin, et d’en être là aujourd’hui. Lui qui avait toujours éprouvé un profond mépris pour son paternel, il comprenait enfin, après un nombre conséquent d’efforts, qu’il pouvait se débrouiller seul. Et leur popularité grimpait sans cesse, ce qui expliquait selon lui la présence d’Abigail. Cela expliquait bien sûr aussi l’opportunité qui leur avait été offerte, de s’installer en Irelande pour quelques temps.

Ca fait longtemps Adam.

“ Longtemps ? Une éternité, tu veux dire !”

Un sourire arborait à présent son visage ; il commençait à réaliser ce qu’il venait de lui arriver. Il se leva, attendit qu’elle fasse de même, et la serra dans ses bras. Cela lui faisait un bien fou de retrouver ce contact. C’est en la retrouvant qu’il se souvenait à nouveau de toutes les fois où il avait pensé l’appeler, se décourageant au moment d’appuyer sur la dernière touche, parce qu’il craignait de l’importuner. C'était idiot, certes. Mais tellement humain ...

“ Je suis heureux de te voir là. Qu’est-ce que tu viens faire par ici ?”

Il était impatient. Impatient qu'elle lui raconte toute cette foule de souvenirs qu'elle n'avait pas encore partagé avec lui. Impatient d'entendre son rire qu'il avait auparavant tant de fois déclenché. Impatient de renouer des liens lentement déliés par le temps.